Réflexion par Saw-B 'Et si chacun arrêtait de créer sa petite entreprise ? '

Par Patricia : Une analyse intéressante du réseau ESS belge SAW-B, notamment la fin reprise ci dessous.

L’enthousiasme que peut susciter l’émergence d’un potentiel modèle de mutuelles de travail, coopératives d’activité et d’emploi est grand. Néanmoins, nous aimerions pour finir proposer trois questions ouvertes qu’il nous semble important de ne pas mettre de côté dans cette réflexion.

Si permettre une plus grande autonomie aux travailleurs est plutôt souhaitable, on peut pointer le risque que, sans changement radical de conception du travail, ce soit réservé à une certaine élite qui sait se vendre , qui sait « se mettre en scène », comme le dit l’écrivain et chercheur Christian Salmon . Devenir « entrepreneur de soi » n’est finalement que l’application de la logique néolibérale… à soi-même ! Alors, même transposé à un cadre solidaire, est-il souhaitable que nous devenions tous de petits entrepreneurs de nous-mêmes ? Que faire des personnes qui n’ont pas forcément des compétences ou des aspirations entrepreneuriales ? Il nous semble nécessaire que des processus d’éducation et des espaces de débat soient, dès l’origine, proposés et encouragés par ces structures. Non pas seulement pour « former » les personnes à devenir entrepreneur (de soi), mais pour débattre du sens que ça aurait de l’être (ou ne pas l’être). Comme on peut le lire dans la Manufacture coopérative, « pour ne pas perdre leur âme (anima), [les coopératives d’activités] se doivent de cultiver leur esprit (animus) coopératif

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Un autre risque à pointer est la taille de l’entreprise et le nombre de membres : si la masse permet la mutualisation, la solidarité et le changement d’échelle, elle comporte également son lot de difficultés. En effet, comment fait-on vivre la participation à 7 000 ? Comment éviter les procédures administratives lourdes ? Comment créer de la coopération et de la confiance quand tous les membres ne se connaissent pas ? Les petites entités dynamiques, indépendantes, résilientes pourront-elles avoir leur place dans une telle « superstructure » ?

Deuxièmement, comme le rappelle Steve Bottacin, « un modèle de société commerciale n’est pas, quoi qu’on en dise, un modèle de société ! ». Ainsi, pour éviter de rester dans une « bulle alternative » ou juste défendre son pré carré, il semble essentiel de réfléchir aux liens qui peuvent exister entre le combat des entrepreneurs-salariés et celui des autres travailleurs dans ou hors emploi, au bénéfice de tous .

Enfin, cette proposition, si elle veut s’inscrire dans une réelle redéfinition du travail, ne peut pas se dispenser de réfléchir également aux formes d’activités qui ne se vendent pas sur un marché. Toute activité, aussi utile soit-elle, n’a pas vocation à se transformer en marchandise pouvant être vendue ou commandée. Aussi, comment reconnaître alors ces formes de contributions bénévoles et si utiles (ne serait-ce que le contributeur à un article de Wikipédia qui sera lu par des millions de personnes ?). Doit-on, en parallèle de ces propositions, réfléchir au moyen de garantir à chacun ses moyens de subsistances de manière inconditionnelle ? Doit-on partager (et donc réduire) le temps d’emploi ? Ceci demanderait alors de se poser sérieusement ces questions que propose déjà Stéphane Veyer, associé (et ancien directeur) de Coopaname : « Où passe la frontière entre le travail et le loisir ? Et entre production et autoproduction ? Que signifie diviser le travail ? Quels éléments fondent l’obtention d’un revenu du travail ? Qu’est-ce qu’un métier ? Pour qui, pour quoi, à quoi travaille-t-ton ? Sur quels fondements socialiser des revenus ? »

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Quoi qu’il en soit, si l’économie sociale veut réellement ambitionner un autre rapport au travail, il nous semble urgent d’avoir l’audace de revendiquer la création d’activités pleines de sens et vectrices d’émancipation personnelle et collective et non « simplement » la création d’entreprises. Soutenir l’expérimentation des mutuelles de travail serait un premier pas !

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